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Mémo Technique

Pascal Aubert

Professeur de chant

 

 

TESTAMENT VOCAL ET PEDAGOGIQUE

 

 

Préambule

 

J'arrive à 60 ans, et j'étudie le chant et la production du son depuis l'age de 16 ans. J'ai perdu ma voix à deux reprises, la première fois en 1987, durant mon service militaire dans les chœurs de l'armée, et la seconde fois en 2006, suite à un accident de voiture qui m'a vu hospitalisé durant prêt de 5 ans. J'ai tout reconstruit à chaque fois.

 

Je ne développerai pas dans ce mémo l’interprétation.

 

Ce mémo s'adresse principalement à ceux qui se destinent à la profession de chanteur lyrique. Les amateurs s'en inspireront, sans prendre pour eux la rigueur que je peux exprimer dans mes propos et que je préconise aux professionnels.

 

Dans ce mémo, il m'arrivera de faire des répétitions, de dire parfois plusieurs fois la même chose dans des formes différentes. En fait, si j'ai une idée, je fais un paragraphe. Je n'en supprime aucun, donc il y aura des redondances. J'ai pensé que parfois, une chose est dite, mais pour qu'elle soit imprimée, il faut répéter, répéter, encore répéter.... Bref, c'est de la pédagogie. Au travail.

 

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Les deux défauts principaux que l'on peut constater en tant que professeur sont, des voix grossies, où les voyelles sont pâteuses, on appelle cela aussi, voix « houahoua » ou bien à l'opposé, des voix blanches,sur-timbrées, serrées, absolument pas connectées au corps. On entend des gens chanter un air d'opéra comme on chante « au clair de la lune ».

 

J'ai mis des années à vraiment réaliser que la base était la descente du larynx en montant dans l'aigu, dans une sorte de grande ouverture. Je le savais mais n'en avais pas une réelle conscience. On apprend rarement cela dans les conservatoires.

La voix à forte intensité, par exemple la voix lyrique, est le résultat d’un travail, d'une intention, entre autres, des centres de commandes cérébrales qui dirigent la musculature. Il faut penser le travail vocal comme un entraînement dans une salle de musculation. Ne jamais oublier que les plis vocaux font deux grammes et que nous avons cinq kilos de muscles abdominaux. Imaginez le mal que l’on peut faire si cela est mal géré. C’est pour cela qu’il faut être prudent et progressif dans le choix des partitions et des rôles, comme on doit être progressif dans le choix des poids à la salle de musculation. Le but sera la plus grande efficacité avec le moins de poids possible sur la gorge.

 

La respiration doit être costo-diaphragmatique, en enlevant tout défaut de respiration inversée (ventre qui rentre à l'inspiration avec la poitrine qui se soulève). Le débutant doit apprendre à ressentir son périnée qui a une grande importance dans le geste vocal chanté, à fortiori dans le geste vocale à forte intensité comme dans le chant lyrique.

 

Développer à tout prix le souffle très tôt ne sert à rien tant que la gorge n’est pas ouverte, larynx en bas mais flottant. Quand la gorge est devenue libre, sans obstacle de pied de langue crispé par exemple, on ressent l’appui du souffle et on ne peut plus s’en passer. On peut alors, par un ressenti très présent, doser la pression, l'effort sur les muscles abdominaux selon le besoin de hauteur, de nuance, ou les deux. Il n'y a alors plus de passages. Quand on a senti cela, on peut vraiment commencer à travailler le souffle.

 

Quand la mémoire musculaire de la sensation est faite là dessus, alors commence l’entraînement physique pour développer la musculature respiratoire : Travail du dos, de la ceinture abdominale, de la ceinture scapulaire, par l’exécution d'une gymnastique drastique et adaptée. N'oubliez jamais que c'est le chant qui développe le chant, sinon tout les grands sportifs seraient de grands chanteurs. Néanmoins, la musculature du chanteur demande un grand entraînement. Là, je sais que beaucoup vont être contre ce que je dis. Il y a un facteur incontournable qui est la détente. Le trop de travail corporel dans l'inconscience du « pourquoi, comment et pour quel effet », peut engendrer des tensions parasites. Mais encore une fois, tout dépend de l’élève que vous avez en face. Ne jamais faire de généralités absolues, c'est le meilleur moyen de faire des erreurs.

 

L’air comprimé dans les poumons rencontre un obstacle appelé glotte, qui est un sphincter, composé d’une masse de chair, de peau, de muscles d’une certaine épaisseur. L’augmentation de la pression, comme dans un pneu, va repousser cette masse d'air sous les plis vocaux (pression sous glottique) et permettre la sortie d’une certaine quantité de groupes de molécules d’air appelées PUFF. Ce nombre de puffs qui passent en une seconde, et qui vont bousculer la masse d’air en état stationnaire dans la bouche va produire une onde qui sera par exemple de 440 hz sur le la 3, 880 hz sur le La 4 etc...

A ce sujet, vous pouvez aller voir sur le web la description du phénomène de Bernoulli.

Quand on tend les muscles, l’épaisseur se réduit, et, puisqu’il y a automatiquement moins de résistance, il passe plus de puffs et la fréquence monte.

L’humain « conscient », n’est pas responsable de la hauteur du son et du son même. Ce n’est qu’une suite de phénomènes pneumatiques, ondulatoires et acoustiques.

 

La voyelle de base dans le travail est dans la plupart des cas le oû ou le ô. Ensuite, le I qui s'il est correcte, développera encore cette sensation d'ouverture du fond du gosier.

 

L’attaque du son doit se faire de glotte, dans l’étonnement, la surprise, comme un contretemps. Alors, l’attaque est précise, pneumatique et optimum, sans effort « Oh!..». Attention, gorge largement déployée comme dans le début du bâillement, larynx descendant mais flottant. Attention, point capital : aucun moment de latence entre l'inspiration et l'attaque. On aura l'impression que le son part d'une sorte de fond de cuve, mais ce n'est pas grave. Les anciens disaient : « Tu dois creuser le fossé de la voix ». Au début, cela peut racler un peu, c'est normal, passager, l'organisme va réagir momentanément en produisant plus de mucus. Ça va disparaître, car bien sûr, il y aura la plus grande surveillance quand à la fluidité absolue du souffle. Soyez patient et persévérants. C'est ce point qui m'a troublé et dérangé durant des années, car on me disait, j'entendais tout le temps : «  Attention, tu chantes dans la gorge, dans la cravate... ». J'ai compris ensuite, avec les recoupements et les études, qu'en fait, pour ne pas chanter dans la cravate, dans la gorge, il fallait justement faire tout ce travail « d'agencement » de la gorge. C'était ce travail qui conduisait à la fameuse voix dans le masque. Que de larmes, de doutes, de perte de temps, bref, passons....

 

 

On peut aider à identifier la sensation de l'ouverture de la gorge par le travail de la voyelle è dans le médium,(qui va très légèrement vers le e d’œuf). Attention à ne pas écraser, boucher, bloquer, reculer la langue. Tout ce travail doit se faire avec un dosage entre effort et relaxation, délicat à trouver, dans un flux d’air régulier et omniprésent. Le ou et le i sont travaillés afin de ressentir que le son ne monte jamais, que le son est toujours maintenu au même niveau. ON NE BLOQUE JAMAIS LE SOUFFLE. Lèvres légèrement ouvertes dans la première octave, comme si vous étiez ventriloque.

 

Super exercice pour trouver cette ouverture, également. Faites semblant de faire du jogging, sur place, en respirant bruyamment par la bouche, le fond de la gorge largement ouvert. Votre larynx est bas. Vous sentez l'air froid caresser les parois, ça vient de loin. Attaquez un ou, ou un o sans temps de latence aucun, sans pousser, avec une attaque nette. Pour ceux qui fustigent ce que je dis, allez écouter par exemple Nicalae Herléa en baryton, ou Richard Tucker en ténor. Vous me direz si l'ouverture de la gorge et le larynx en bas sont des fadaises.

 

L'idée du ventriloque peut être intéressante. Les lèvres, en travaillant sur le OU ne s’entrouvrent que très peu.

 

Pousser le son devant ne fait que perturber le flux naturel qui est semi vertical. Soufflerie, plis vocaux, pharynx et enfin, résonances de tête qui sont une conséquence.

 

Il ne sert à rien, pour obtenir et développer l'aigu, de faire des aigus. Le mécanisme de l'aigu se faisant bien avant l'aigu, on peut développer les mémoires musculaires jusqu'au haut médium, par exemple, FA pour un baryton et SOL dièse pour un ténor. Nous rejoignons ici le principe de ne jamais travailler dans le défaut ou le « non établi ». FAURE, dans sa méthode de chant célèbre, parlait de « son type ». Travailler dans le bon, le mieux, et l'étendre. Construire dans le facile, dans ce qui ne fait pas peur. En voulant absolument atteindre l'aigu, le chanteur non expérimenté, va créer des tensions, et ces tensions nous feront perdre du temps. Moins il y a d’efforts, plus il y a d’efficacité plus il y a la puissance facile. Le cercle vertueux prends la place du cercle vicieux.

 

La facilité est obtenue lorsque la force de bas en haut (pression sous glottique), provoquée par la compression du souffle, est équilibrée par la force de haut en bas (pression sus glottique), ou impédance ramenée, autrefois appelée aussi couverture du son, qui consiste à avoir un mouvement inverse du larynx par rapport à la montée vers l’aigu. Il n'y a plus de hauteur, la totalité de votre ambitus vocal est au même étage, rien ne monte, tout est soutenu et libre.

La vieille image « quand tu montes, penses que tu descends » prend ici tout son sens. Un aigu ne sera jamais facile et sûr si le larynx remonte. Le travail du « ou » est précieux et prend ici tout son sens. Le ou est la porte d’entrée de la voix de tête et la porte de l'aigu. Ne jamais ouvrir les sons sous peine de dysphonies. En cas de blocage du pied de langue, le « ou » peut être trop difficile, voire impossible, se rabattre alors sur le ô et être patient en ne travaillant que le bas et le médium de la voix. Le y vous aidera à détendre la langue. Yé, Yi Yô.

Laya,Léya, Liya, Lôya, Louya, Luya, sur la même note (exercice de Tomy Leichtweis), afin de dissocier la langue et la mâchoire, sans crisper, avec mâchoire très peu ouverte et immobile (éventuellement un petit crayon entre les dents), seule la langue travaille. Ne surtout pas faire cet exercice en ayant l'impression de manger un lapin cru. Toujours travailler dans la zone facile. Tout ceci est l'installation de mémoires musculaires qui sont parfois très longues à se mettre en place.

 

LES VOYELLES DANS CE TRAVAIL SONT TOUJOURS CALIBREES. ON CHANTE AVEC L'ESPACE, PAS « DANS » L'ESPACE.

 

Le travail de l'ouverture de la gorge, tellement incontournable, est fastidieux pour ceux qui ne l'ont jamais envisagé, c'est une concentration mentale importante et un effort au début.

Le professeur est le guide pour toujours préserver de la zone rouge. Le travail de l'ouverture de la gorge est la clé de la facilité progressive et de la régularité dans la forme vocale. Celui qui n'a pas conscience de cela s'expose à des jours de forme et d'autres de méforme très marqués. Le lundi, on a une voix de stentor, le mercredi déjà, on ressent que l'on est obligé de pousser. On commence à racler. C'est très déstabilisant pour l'artiste en herbe. Le grand Melocchi enseignait cela. Si vous n'avez pas cela, vos aigus seront instables, pas sûrs. Vous serez obligé d'inventer tout un tas de trucs bizarres pour y arriver tant bien que mal. Ils sonneront en arrière.

 

Attention. Je parle tout le temps de musculation, de travail d'ouverture. Tout cela se construit bien sûr avec le minimum de poids sur la gorge. Je fais des chanteurs, des musiciens, par des gueulards qui deviennent écarlates au moindre aigu. Un larynx, des plis vocaux, c'est quelque dizaines de grammes. La musculature abdominale, c'est plusieurs kilos. Imaginez le mal que l'on peut faire à son instrument !!!...

 

Le flux de l’air doit être continu et jamais oublié. Le souffle est la corde à linge, les consonnes sont les pinces à linge. La pince à linge ne coupe jamais la corde.

 

L'articulation soulage le larynx, c'est capital.

 

Le nez n’a rien à voir dans la résonance. La résonance optimum est obtenue en premier par un bon accolement des plis vocaux et le respect du calibrage des voyelles (jamais de son oua oua). Toujours rechercher l'équilibre phono résonanciel idéal. Ensuite, quand tout se passera bien au niveau de la gorge, de la langue… le son montera en tête et celle-ci sera remplie de vibrations qui pourront se situer dans le haut du visage. Pour mémoire, ceux qui vantent la grande école italienne en mettant dans le nez, oublient qu’il n’y a aucune nasale en italien. Le masque est une conséquence, non un but. Qui pousse et force la voix devant, tôt ou tard ferme sa gorge.

 

On chante avec l'espace, pas « DANS » l'espace. Je dis ceci car si votre voyelle est grossie, elle occupe l'espace, votre langue part en arrière et s'enfonce et vous chantez dans une grosse patate, une grosse cravate. Le son n'a plus aucune portée, il est très fatiguant et votre voix bougera très vite. Il n'y a alors plus aucune résonance de tête. Ceci peut faire dire par exemple, qu'une femme est mezzo, alors qu'elle est soprano.

 

Il n’y a pas de méthode, il n’y a que des exceptions. Chaque élève est unique. Si vous trouvez un geste vocal unique chez Kraus, Bergonzi, Corelli, Domingo, Di Stefano ou Schicoff, faite moi signe…. Le seul point commun entre eux est que le larynx est en bas dans l'aigu, avec une impédance ramenée qui leur assure une sûreté absolue de leur quinte aiguë.

 

Les voyelles doivent être calibrées, jamais grosses. Si elles sont grosses et pâteuses, c’est quelles tombent dans l’espace arrière. Le i est alors le remède. On peut lui adjoindre un Y pour aider à ne pas enfoncer la langue. On chante avec l’espace, pas dedans.

 

Le travail du GN (comme dans ESPAGNE),aide à fixer la position de la langue et donne une idée de la zone de retentissement, de la résonance résultante finale. Ce travail mélangé, alterné entre le ô ou le ôu est la clé dans la plupart des cas. Prudence de ne pas mettre la voix de l'élève dans le nez. Il aura toutes les peines du monde à s'en dépêtrer car il s'entendra beaucoup et aura l'impression d'avoir une grande voix. L'explication est simple, lorsque la voix est dans le nez, le voile du palais est effondré et le son retentit dans les trompes d'Eustache, porte de l'oreille interne.

Dans ce cas, pour le chanteur, la voix est grande, il se gargarise d'un son qu'il voudra toujours plus brillant et fort pour lui, mais en fait, la voix ne portera absolument pas. C'est le meilleur moyen d'avoir une voix qui devient de plus en plus dure et toute nuance deviendra progressivement impossible car le pianissimo se fait avec un grand espace arrière.

 

La langue doit absolument être indépendante de la mâchoire avec l’apex devant. Il n’y a pas plus gênant pour l'auditeur, que de voir un chanteur manger du lapin cru quand il chante (articulation excessive impliquant de grands mouvements de mâchoire.)

 

L'ouverture de la bouche doit se faire progressivement. Grave, médium, bouche très peu ouverte. Ensuite, elle commence à s'ouvrir à la porte de l'aigu. L'espace arrière va être de plus en plus large et profond. On a alors la sensation que la voix part haut dans la tête, vers l'occiput. Caruso disait qu'il pouvait faire un contre ut avec la bouche pratiquement fermée. Normal. Si les différentes parties de la bouche (langue, mâchoire, gorge) sont identifiées et indépendantes, alors, à l'inspiration, l'espace du fond est facile et la voix résonne, sans avoir besoin d'ouvrir. Si, dans le cas contraire, on ouvre grand la bouche dans le grave et le médium, cela met en péril l'ouverture arrière, capitale, et cela vous fera une voix totalement privée des grandes résonances de tête.

 

 

La bouche ne doit pas s’ouvrir démesurément. Surtout dans le grave et le bas médium. La bouche doit s'ouvrir progressivement avec, lorsque l'on monte dans l'aigu, une sensation de plus en plus en arrière, vers l'occiput. Attention, le larynx reste en bas dans une gorge grande ouverte. Pour l'aigu, j'utilise l'expression : « il y a trop de monde dans le petit salon, il faut ouvrir les portes du grand salon », en référence aux grands appartements Haussmanniens qui avaient plusieurs salons en enfilade.

 

La voix vient du moteur que sont les cordes vocales. Chanter l’archet à la corde est la base. Le but est d’éliminer tout ce qui nuit à cette vibration qui doit être sans aucun poids sur la gorge et les cordes.

 

Toutes les voix doivent savoir vocaliser, triller, chanter piano, crescendo diminuendo… C’est un entraînement important qui développe considérablement le chant et lui donne une sûreté sans égal. Ce travail est progressif dans le temps. Voir Panofka, Concone, vaccai et autres cahiers de vocalises.

 

Le psychisme est capital. La voix reflète l’histoire de l’élève et certaines épreuves personnelles rendent impossible l’épanouissement d’une voix. Cela peut multiplier le temps des études par deux ou trois. Seule une psychothérapie avec une personne qualifiée et de grande expérience pourra débloquer certains défauts vocaux très ancrés. Attention, un professeur de chant n’est pas un psy, chacun sa compétence, et un élève n'est pas un enfant ni un pote. Le respect de la distance avec l'élève évite certaines situations qui peuvent être ambiguës et/ou très douloureuses. A ce sujet, je souhaite raconter une histoire qui m'est arrivée. J'avais une élève qui n'arrivait pas à utiliser le bas de son corps. Elle chantait comme une enfant. Au bout de quelques mois, je me suis décidé à lui dire que le problème provenait peut être d'autre part, et qu'il serait opportun d'en parler à un psychologue. Malgré le tact dont j'essayais de faire preuve en lui disant cela, elle se fâcha et partie en claquant la porte en me disant que j'étais nul comme prof. Quelques mois plus tard, elle me recontacta et m'avoua quelle avait été abusée sexuellement par son beau père durant des années. Ceci expliquait le fait qu'en dessous du nombril, elle ne ressentait rien, que le périnée était bloqué et que tout le bas de son corps était « mort ». La psychothérapie, et, accessoirement l'EMDR l'avait libérée. Et vous savez quoi ? C'était en fait une grande voix de mezzo soprano. Elle a réussit à contacter son corps, à l'utiliser, à construire la colonne d'air. Quel bonheur !!

 

Chanter clair n’est pas chanter serré. L'expression « chanter calibré » est pour moi plus adaptée. Être un funambule au dessus du gouffre de Padirac, me semble une image assez fidèle du calibre de la voyelle et de l'agencement de l’espace situé à l’arrière de la langue.

 

Le travail du chanteur ne doit pas être de « placer ». Le fait de placer engendre des tensions au niveau de l’appareil qui ne feront que ralentir la progression. Le travail du chanteur est de libérer tout doucement le son sur toute l’étendue vocale, comme on sort le métal de sa gangue. On doit toujours viser le maximum d'aisance, sur toute la tessiture.

 

Je place ici un petit laïus de mon ami Christian Guerin, chercheur, formateur d'orthophonistes et professeur de chant:

 

"De 20 à 40 ans, enroué de façon chronique dès que je chantais, j’étais contrarié de constater que sur les marchés de Paris ou dans la rue, les vendeurs qui criaient étaient eux aussi enroués alors que dans l’Ariège où ma femme m’emmenait dans son village, on criait, chantait, hurlait avec de belles voix. Je n’avais trouvé aucune explication rationnelle.

Je me souviens du petit rôle de l’orateur dans la « Flûte » où le chef me disait « cupo, cupo » mais même le directeur Philippi était incapable de m’expliquer ce que je devais rectifier. J’avais déjà travaillé avec Pierre Thau, René Bianco, Ugo Ugarro sans résultat. Ils me faisaient chanter en basse.

 

Madame Gaches m’a pincé les joues, tiré vers elle et décollé les lèvres des dents… et le miracle arriva ! ! !  L’impédance se fit dans cette nouvelle petite cavité. Maurice Brach y ajouta la descente du larynx dans le cou, augmentant le formant grave et sa bascule. Tous ces phénomènes étaient connus depuis la fin du 18°, enseignés durant tout le 19° et mis scientifiquement en évidence au 20° par le Suédois SUNDBERG, question d’ondes de longueur supérieure à la distance de la glotte aux lèvres.

 

Ces ondes de plus de 15cm représentent le « formant du chanteur », au-dessus de 2.000 Hertz. Tu rallonges cette distance, le retour se fait, tu raccourcis, ce sont les petits muscles des cordes vocales de 2X2 grammes qui doivent supporter la pression de sortie d’air comprimé par tes muscles abdominaux de 4/5kg ! !  Tout con, c’est logique. Mais tout çà tu le sais et le pratique. Mais sur internet et Youtube, que de conneries enseignées.

Quant au piano dans l’aigu, c’est couvert au maximum pour décontracter les c.v., les amincir jusqu’à pouvoir passer en voix de tête M2 Summum musical…."

 

 

 

Le travail des voyelles est capital. Elles doivent s’enchaîner sans resserrage de l'espace intérieur. Ainsi, oû, a i é doivent être enchaînées sans modification de l’espace arrière, avec la pointe de la langue (apex) qui reste devant. L'agencement interne de la bouche varie bien évidemment car la forme de la langue n'a rien à voir pour A et un I, mais en aucun cas, l'ouverture de la gorge ne doit se modifier ni se rétrécir. Gola aperta et suono coperto !!!

Pour un élève, construire les voyelles correctement sera difficile. Les voyelles opératiques ne sont pas les voyelles habituelles parlées. Faire des I gorge ouverte semble bizarre au début, mais c’est le chemin pour comprendre et ressentir, conscientiser le conduit vocal, ressentir enfin la voix qui de cette manière sera portée par l’air. Finie la fatigue.

 

Il faut travailler régulièrement. Tout le monde comprend les difficultés de devenir violoniste, mais pas de devenir chanteur. C’est pourtant aussi difficile sinon plus, car on ne voit rien, on travaille uniquement à la sensation. Pour comble, on n’entend pas de l’intérieur, ce que l’auditeur entend.

 

Le mode mineur incite à la descente du larynx. Pour inciter à la bonne position vocale dans une gamme ascendante, penser gai dans le grave et de plus en plus triste en montant. Le sentiment génère la position du larynx. Tristesse : descente, joie : montée. Le sanglot peut aussi aider.

 

Il y a deux grandes directions dans le travail et la construction d’une technique vocale. Il y a les voix en A et les voix en I. Une voix en A est une voix qui a une tendance au serrage, au "sur timbre", à tout ce qui rétrécit. Cette voix travaillera donc sur le A, sur le dégagement, l’ouverture.

Une voix en I est une voix souvent grossie, qui manque de timbre. Une voix que j’appelle oua oua. Cette voix travaillera sur le I pour concentrer et renforcer l’accolement qui est noyé dans un flot de parasites nuisibles.

Entre ces deux extrêmes tout existe. Le professeur est seul guide.

 

Il faut travailler tous les jours, même quelques minutes. Les mémoires musculaires ou mémoires kinesthésiques, mémoires des bons gestes sont longues à s’installer. A titre d’exemple, il faut deux mois, à partir du moment ou l’on ne fait plus un geste réflexe mauvais, pour mémoriser le nouveau geste salutaire. Compte tenu que lorsque l’on apprend, on fait plutôt dix fois le mauvais pour une fois le bon, je vous laisse imaginer ce qu’il faut comme temps, pour qu’un geste soit acquis. Je parle d’acquisition en toute circonstance, y compris lorsque l’on est mort de trac, en audition, concours, examen ou concert.

Quand au début je dis qu'il faut travailler au moins quelques minutes par jour, c'est pour les amateurs, car ceux qui se destinent au monde professionnel doivent travailler comme des damnés. A titre d’exemple, Mady Mesplé que j’ai bien connue, travaillait avant une production, 8 heures par jour avec Janine Reiss.

 

 

Changer de professeur souvent est une grosse erreur. On s’aperçoit finalement un jour que l’on a persévéré dans aucun geste et que rien n’est solide ni installé. Quand on a trouvé celui ou celle qui vous fait faire des progrès, on reste avec. Ensuite, c'est un chef de chant qui vous guidera plus loin musicalement.

 

 

Un petit mot quand même sur l’interprétation. Sachez que l'on ne pourra pas parler d’interprétation d'une œuvre, tant que votre technique ne sera pas faite. En effet, comment faire un piano, un trille, un diminuendo, un legato parfait, tant que votre corps ne sera pas prêt à le faire.

 

Quand la voix est prête, il faut aller voir un pianiste chef de chant dont c'est le métier et qui aime les chanteurs, comme cela à été le cas pour moi, avec Simone Féjard, Nadia Gedda ou Claudie Martinet. Alors, vous vous apercevrez qu'en respectant religieusement les indications et l'intention du compositeur et du librettiste, vous deviendrez un interprète. Vous deviendrez artiste. C'est votre âme, ce que vous êtes au fond, qui inscrira dans le marbre votre propre interprétation. Le travail du musicien professionnel est colossal. J'affirme que si le travail est fait comme il se doit, on se rapproche des cadences de travail des grandes écoles, comme médecine. Il faut en effet apprendre et travailler tous les jours : La technique vocale, le piano, toute la formation musicale, dont le solfège et l'harmonie ainsi que les langues. Avoir une culture musicale et générale en béton. Bref, il faut être un passionné du chant, du chant dans sa globalité, dans son moyen de transcrire les grandes œuvres du répertoire. Si seule la technique vous intéresse, ça n'a aucun intérêt.

 

Ne jamais confondre sentimentalisme et interprétation. Seul le travail compte. Si vous voulez chantez rapidement, sans effort, sans travailler consciencieusement, sans chercher , sans persévérance, sans patience, alors le chant n'est probablement que le badge de votre ego. Je parle ici bien sûr toujours du professionnel en devenir, et non pas des amateurs. Commencer à interpréter quand on déchiffre ou que l'on connait à peine une œuvre que l'on a appris sur youtube est totalement inintéressant et contre productif. Au contraire, si vous soignez le travail de table, devant votre partition, en déchiffrant, en étudiant votre partition, le contexte de la composition, le compositeur, alors, vous acquerrez une méthode infaillible qui vous donnera une efficacité de plus en plus grande. Au départ, ce sera difficile, mais avec le temps, vous irez plus vite et vous serez plus efficace.

 

La voix seule n’est rien. J’ai connu des surdoués vocaux, obsédés par la technique, se reposant sur leur belle voix. Ils ne font et ne feront rien dans le métier. Ils n’aiment pas la musique, seulement la performance. Obsédés par la "place", ils oublient le principal, l’amour du chant, de la musique, du compositeur. Ils ignorent tout de l'âme, de l’émotion, de l'émoi provoqué par les grandes œuvres vocales. Ils se servent de leur voix pour "exister" et "prouver" aux autres. Ils ne montrent que leurs névroses. Seules l’abnégation et l’humilité, assorties d’une grande intelligence et d’une grande volonté sont la clé. D'une manière générale, la voix, c'est 10% de l'artiste. Le reste est une répartition entre travail, intelligence, patience et chance. Le piston peut aider pour les auditions, mais sur scène, on est seul, et si on est mauvais, on n'est pas ou plus engagé.

 

Tout le savoir s’acquière avec le temps, dans une volonté, une régularité inflexible mais non obsessionnelle, car une volonté obsessionnelle, névrotique, vous conduira à la catastrophe et au rien du tout, au néant. Comme dans toute entreprise, travailler beaucoup mais dans un grand lâcher-prise est important. La pensée, la concentration, c'est ici et maintenant. Hier, on n'y peut plus rien, demain, on n'en sait rien.

 

Lorsque l’accolement des cordes est parfait dans une gorge largement ouverte mais détendue, lorsque les voyelles sonnent de manière optimum, que la langue a enfin trouvé sa juste place avec un pied qui n'est pas crispé, que le tuyau sonore ne subit aucun trouble, alors, se produit le phénomène de la résonance de tête. Une sensation que le haut de votre visage rentre en vibration, en résonance. Malheur à vous si vous voulez forcer ce phénomène, car nous rentrerons alors dans la volonté de placer dont je parlais au début.

 

Sur l'indépendance entre la mâchoire et la langue. Il faut acquérir progressivement la conscience de chaque partie du corps qui sert l'expression du chant. Ainsi, la gorge, la langue, le voile du palais, les mâchoires doivent être conscientisés. La langue et la mâchoire doivent être indépendants. Il n'y a rien de plus néfaste que de donner à l'auditeur la sensation que l'on mange du lapin cru lorsque l'on chante. En effet, si la mâchoire est sollicité de manière inapproprié pour l'articulation, ceci nuira au retentissement du son en tête et surtout, au legato. La compréhension du texte en souffrira. Si l'on enchaîne par exemple les sons GA YA, plusieurs fois sur une même note dans le bas médium, sans bouger la mâchoire, en se servant uniquement du travail de la langue, ceci donne une idée du but à atteindre. Fait correctement, les enchaînements de phonèmes sont souverains pour atteindre ce but. Le professeur préoccupé par cela saura quelles exercices vous donner. En général, il faut travailler cela devant un miroir, car l'on ne se rend pas compte du fait que même si l'on décide de ne pas remuer la mâchoire durant ces exercices, on constate devant le miroir quelle bouge quand même.

 

Il ne sert à rien d'ouvrir la bouche pour ouvrir la gorge. C'est même le meilleur moyen de fermer la gorge.

Je redis qu'il faut conscientiser ces zones, de manière à ressentir que l'on peut largement ouvrir la gorge, sans même ouvrir la bouche et sans même crisper la mâchoire. Caruso disait qu'il pouvait faire un contre ut sans ouvrir la bouche.

 

Ce qu’il faut faire est finalement simple. Trois lignes. Ce qu’il ne faut pas faire, par contre, trois volumes.

 

Pour ma part, souvent, je ne travaille dans un cours lors de la technique, qu'une partie du geste. Par exemple, certains cours, nous travaillerons la respiration (pour ceux qui ont une respiration inversée en soulevant les épaules). A un autre cours, je travaillerai l'ouverture de la gorge, lors d'un autre, le retentissement du son, et ainsi de suite. Je compare cela à la formation musicale, qui comporte de la lecture de note, du rythme, de l'intonation, de l'analyse….. Tout cela à pour but de faire un bon musicien. Eh bien pour le chant, c'est pareil, tout cela à pour but de faire un bon chanteur. J'en suis venu là car il est impossible de penser à tout à la fois. Ainsi, il est profitable de séparer, au début en tout cas, les difficultés. Les mémoires musculaires s'installent ainsi de manière bien plus efficace. La persévérance et la patience font le reste.

 

Le trac se combat par l'assurance et la sûreté dans ce que l'on fait. Seul le travail vous donne cette assurance. Quand vous avez réussi mille fois quelque chose, vous n'avez plus peur. Ne pas accepter des œuvres pour lesquelles le corps n'est pas prêt. Toujours respecter sa nature et là où en est notre musculature. La bêtise parfaite ? Un jeune ténor de 20 ans qui a commencé à travailler il y a un an et va chanter La Fanciulla del West ou Werther, tout ça car c'est un surdoué vocal et que sa voix est facile. Il le paiera au delà de tout ce qu'il peut imaginer. Quand on rapporte cela à la salle de musculation, c'est plus facile à admettre. Est ce qu'avec un an de travail en salle, vous essayeriez de faire un développé couché à 100 kg ? No comment... Idem pour une jeune soprano de 14 ans que j'ai entendue chanter la Reine de la Nuit. Tout un tas d'imbéciles en extase. C'est criminel.

 

Interpréter est une bêtise. La fidélité à ce que veut le compositeur seule doit être. Ensuite, avec la répétition et le travail, ce que vous êtes arrive tout naturellement. La volonté d'interpréter fera forcément ressortir ce que vous avez entendu et que vous copierez, même inconsciemment, en rajoutant plein d'erreurs. Fuyez Youtube pour le travail de fond.

 

Je viens du milieu professionnel. Les premières fois que je me suis trouvé devant des amateurs, j'ai commis des erreurs. J'étais trop exigeant. Il est important d'adapter son comportement à qui nous avons en face de nous. Autant un jeune qui se destine au métier de chanteur devra travailler énormément, avoir une exigence à toute épreuve et répondre sans broncher aux demandes de son professeur, autant un amateur demandera simplement d'apprendre à se servir de sa voix, et à prendre un grand plaisir dans la mesure du temps qu'il peut consacrer au chant. Ainsi ai-je dû apprendre à accepter qu'un élève amateur puisse mettre plusieurs semaines à apprendre une simple vocalise de Vaccaï ou de Concone. Je suis devenu plus souple. Toujours souligner ce qui est bien, encourager.

 

Quelqu'un qui vient vous voir et qui n'est pas débutant, aura peut-être une histoire avec un autre professeur. Quand j'étais jeune, je changeais de professeur comme de chemise. C'était une grave erreur. Combien de fois ais je entendu : « Vous ne savez rien, il faut tout recommencer ». Peut-on entendre phrase plus décourageante ? Un élève ne sait rarement rien, car même s'il est dans l'erreur, l'erreur est déjà un savoir. On poursuit la route, on ne refait pas.

 

Dichotomie curieuse. On n'a jamais autant su sur l'appareil vocal, et pourtant, lorsque l'on entend les enregistrements des anciens chanteurs, on a du mal à comprendre pourquoi de telles voix sont devenues si rares. Imagineriez vous aujourd'hui, un Nicolae Herléa ou un Gianni Maffeo ? Plus personne n'existerait chez les barytons. Est-ce que leur professeur connaissait toute la physiologie de la voix ? Tout le fonctionnement du corps dans ses moindres détails ? J'en doute.

 

Le soutien du son se fait par les muscles abdominaux qui à l'expiration appuient sur les viscères et compriment le diaphragme. L'ouverture maintenue des côtes flottantes, permet un maintien du diaphragme et assure la pression de bas en haut nécessaire au chant. La cage thoracique doit être largement ouverte et l'attitude générale du chanteur doit être une attitude de fierté. Verticalité « courtoise », non exagérée ni tendue. On chante pour le poulailler. A adapter à la physionomie du chanteur.

 

Les vieux disaient « chante bien, et tu respireras bien ». On arrive à ce niveau de compréhension quand la voix est libérée et que les obstacles de la gorge ont été vaincus.

 

La voyelle principale de travail est le ou. Toutes les autres découlent de ça. C'est tellement capital aussi pour les femmes. La voix de tête se développe par le ou. Le OU est souverain. Au début, on a du mal, c'est pour cela que l'on doit rester impérativement dans la zone d'absolu confort. Petit à petit, le fossé de la voix se construit, et l'aigu, une fois le larynx en place, arrive.

 

Les attaques. Une attaque doit être pure, précise, ferme mais sans à-coups. Le travail des attaques doit se faire très tôt, comme dans une surprise : « ….Ah, mon ami, comment allez vous ?.... ».

 

Le travail des vocalises. Un chanteur doit savoir vocaliser, du soprano le plus aigu, à la basse la plus profonde. Lorsque l'on rencontre des difficultés sur une vocalise, il faut la travailler dans différents rythmes. D'elles mêmes, les difficultés s’aplanissent et la précision arrive.

 

Le trille. Commencer par des intervalles de secondes, en noires, puis en croches, puis en doubles, puis en triples. On accélère progressivement.

 

L'accolement. Il doit être ferme mais toujours très léger. Le but, c'est d'avoir toujours de moins en moins de « poids » sur les cordes.

 

De la nécessité du travail piano. C'est indispensable. Le crescendo diminuendo doit faire partie de la panoplie technique du chanteur. De plus, le piano est souverain pour la santé vocale et l'éducation du chanteur. Pas tout de suite bien sûr. Au début, on laisse chanter, on libère, pas fort, mais on n'ajoute pas le souci du piano au chanteur. Ça viendra vite. De là tout l’intérêt du travail des vocalises genre panofka qui sont tellement bien étudiées pour les chanteurs, dans l'étendue de la voix et dans les nuances.

 

 

 

Pascal Aubert

 

 

Je mets ce recueil à la disposition de tous, les commentaires constructifs et bienveillants étant les bienvenus.

Ce petit « mémo technique » est en perpétuelle évolution et s'étoffe de semaines en semaines.

Ici, seul le chant et l'intérêt des élèves doit primer. Notre égo ne doit pas trouver place dans notre métier de professeur car celui-ci nuit à l'accroissement de notre savoir.

 

Bardenac

Mars 2025

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